Et pourtant je me suis bien renseigné. J’ai lu un livre sur la dette, épluché de nombreux articles, regardé des vidéos, assisté à un semestre de cours d’économie du développement durable. Je lis même régulièrement, avec un certain dégoût, je l’admets, devant certaines prises de positions parfois évidemment fausses et parfois très biaisées, le journal des Échos. Je ne suis en revanche pas capable de mener la plus simple simulation économique, ni même d’estimer à la louche les vraies répercussions à court et long terme de différentes politiques économiques. Étant donné que, dans nos sociétés capitalistes, l’argent est quand même au centre de toute discussion publique, c’est un souci.
Quand je discute de mesures économiques avec des amis positionnés à droite sur le spectre politique, je me vois répéter les arguments économiques de gauche que j’ai vus lors de mes recherches, auxquels on me répond les arguments économiques de droite qu’ils ont dû voir lors des leurs. Combien de fois ai-je entendu que le désengagement de l’État rendrait la vie économique plus fluide, amenant plus de compétitivité et donc plus de richesses ? Combien de fois ai-je rétorqué que le marché ne sait pas se réguler et qu’il faut donc venir taxer et réguler les plus grandes entreprises pour redistribuer les richesses et garantir des emplois stables ? Mais j’ai peur que la vérité soit que ni l’un ni l’autre ne sachions vraiment. De fait, je peux trouver pléthore d’économiste, d’études, de sources soutenant mes propos. Mes interlocuteurs peuvent sûrement en trouver tout autant soutenant les leurs.
La doctrine économique dominante en France, mais aussi dans l’Union Européenne, est celle du néolibéralisme, favorisant le secteur privé et le désengagement de l’État : le marché réglera nos problèmes. Cela marche très bien, nous dit-on, sauf quand ça ne marche pas, nous voyons. Il n’y a qu’à opposer les moments de croissance et d’enrichissement avec les crises des subprimes, l’inefficacité face au changement climatique, ou tout simplement la quantité de pauvres en France. Tout de même, le néolibéralisme, c’est la philosophie derrière la politique qu’a menée Emmanuel Macron pendant 7 ans. “Aujourd’hui nous avons beaucoup de problèmes, n’est-ce pas là la preuve d’un système défaillant ?” “Mais non, bien au contraire, étant donné la conjoncture économique actuelle, une politique différente aurait amené à encore plus de chômages et de pauvreté !” Et alors que l’on nous mitraille de milliards d’euros, de pourcentage d’augmentation, et de ratio dette-PIB, je suis un peu perdu.
Vous allez me dire que ce problème se présente pour tous les sujets de société. Et bien je ne sais pas. Voyez, après avoir effectué par exemple des recherches sur l’immigration (malheureusement nécessaire pour pouvoir combattre les idées d’extrême droite), je suis arrivé à des conclusions très claires sur le sujet. Les scientifiques semblaient arriver à un consensus. Je pouvais suivre la logique. Mais là sur l’économie, rien du tout ; je ne sais pas où donner de la tête. J’ai envie de me dire que le sujet est tellement complexe, traversant toute la société, et a des effets à si long terme, qu’il est en fait peut-être impossible de le comprendre vraiment. Mais c’est peut-être simplement parce que je suis mauvais ou que je n’ai pas assez bien cherché. Dans tous les cas, le fait de mon incompréhension est là.
En revanche, l’économie est omniprésente pour justifier telle ou telle décision politique. On nous parle, à longueur de débat, de dette, de dépenses publiques, d’inflation, de compétitivité, et de croissance, mais les livres, les articles, les experts se contredisent. Que faire ?
Alors pour être tout à fait franc, j’ai fini par croire la version de gauche. À l’heure actuelle, je pense qu’elle est plus proche de ce qu’il faut faire pour maximiser le bien commun. Je défends d’ailleurs actuellement le programme du Nouveau Front populaire aux législatives de 2024 devant des amis apportant des critiques sur son financement et sur les impacts de ses mesures sur l’économie. Je leur ressors les arguments que j’ai trouvés sur Internet et qui m’ont convaincu. Mais si ça se trouve, si j’avais été exposé à d’autres arguments, une vision différente, j’aurai défendu l’inverse. Je me dis qu’en réalité, c’est faux, que quand même les arguments avancés de mon côté sont très solides, avec expériences à l’appui. Mais je me serais probablement dit la même chose si j’étais sur l’autre rive. Alors qu’on nous met en garde contre la polarisation et les chambres d’échos, c’est dommage.
Devant ce constat, je me console en me disant que la position à tenir, en attendant de vraiment réussir à comprendre les mécanismes qu’elle engendre – et peut-être devrais-je appliquer cette philosophie à plus de sujets – est celle qui me paraît relever directement de l’humanisme, de l’entraide, de la solidarité, de l’empathie, et de l’altruisme. Et tant pis si j’ai tort sur le plan économique : j’aurai au moins eu raison sur le plan moral.