Le mot extrême a pris une connotation négative, peut-être à juste titre. On pense notamment au viles idées de l’extrême-droite française ou à la dangerosité de l’extrémisme religieux. Il représente ceci dit plus généralement des idées en marge, des positions scandaleuses, des manières de faire inacceptables. À ce titre, la qualification d’extrême est subjective, et dépend donc de l’atmosphère du débat sociétal de l’époque. L’idée extrémiste d’hier deviendra peut-être politique publique demain. Les temps changent, et ce qui est globalement accepté change aussi. Joseph Overton le décrit par sa fenêtre éponyme. À n’importe quel moment, toutes les idées peuvent être classées dans six catégories: politique publique, populaire, raisonnable, acceptable, radicale ou impensable. Notons que ses classification ne sont pas forcément basées sur un fait scientifique ou moral, mais plutôt par une opinion générale de la population. Dès lors, l’extrémisme n’est pas un problème en soi.
En revanche, j’ai déjà entendu des amis se justifier de ne pas voter Rassemblement national ou La France insoumise, car ces partis seraient extrêmes, et que les extrêmes, ce n’est jamais bon. Mon premier point est le suivant : cette disqualification d’idées sur la base unique qu’elles sont extrêmes est mauvaise pour le débat public. De même, j’ai entendu les mêmes amis prôner la position au centre du spectre politique (pour peu que ce concept soit sensée), comme celle de la raison, du bon-sens. Elle prendrait les meilleures idées des “deux côtés” et saurait faire le tri. Elle serait alors bonne et justifiable de part sa nature de position centriste. Je ne peux être plus en désaccord: le centre est défini par la moyenne des idées actuelles, et est donc une classification tout aussi détaché du bien-fondé scientifique ou moral que la classification d’extrême. Elle ne peut être un argument en soi. En effet, le centre évolue, le centre avait tort, a eu tort, a surement tort aujourd’hui. Un centriste en Allemagne nazi restait tout de même un nazi. En parlant d’idées extrêmes, bien que certaines comme celles-là sont évidemment à rejeter avec la plus grande célérité, il se trouve que les extrêmes peuvent avoir raison. En effet, on sait que des idées extrêmes peuvent avoir du sens et peuvent être juste, puisque de nombreuses l’ont été dans le passé avant de devenir politiques publiques. On citerait par exemple non-exhaustivement la démocratie, l’abolition de l’esclavage, la droite de vote aux femmes, le mariage gay, la taxation progressive, ou certaines mesures climatiques. Cela ne veut pas dire que toutes, ou même que la majorité des idées extrêmes sont bonnes, seulement qu’il est bien plus intéressant, et bien plus honnête intellectuellement, de critiquer les idées extrêmes susmentionnée sur leur fond au lieu de les rejeter sur le fondement de l’étiquette sociétale qu’il leur a été attachée.
Certains verraient peut-être dans le tabou des idées extrêmes un garde-fou de la civilisation contre des pensées pouvant la mettre en péril. Mais, le cas échéant, il ne devrait pas être difficile de détruire ces idées à l’aides d’arguments faciles à trouver. Le problème est qu’en faisant cette discrimination, on se prive peut-être de bonnes idées mal étiquetées.
J’aimerais cependant maintenant réfléchir sur le passage de l’interaction passive avec les idées extrémistes à une interaction active. Faut-il promouvoir des idées extrêmes? Si on en est convaincu, cela va de soi, puisque l’étiquetage d’extrême n’a pas de valeur objective. En revanche, il peut être judicieux si l’on souhaite rendre une idée plus acceptable d’en voir débattre une autre allant dans le même sens, mais plus extrême. Je pense par exemple à la personne d’Éric Zemmour, candidat à la présidentielle, extrêmement prisée des médias traditionnels, probablement parceque leur ligne éditoriale se rapproche quelque peu de ses idées – et cela ouvre tout un débat sur la propriété de nombreux médias français par des milliardaires de droite et d’extrême droite – mais aussi car il sait faire le buzz. Zemmour a des idées racistes, xénophobes, complotistes, et franchement stupides. Cet homme est considéré comme un fou par nombreux. Mais sa présence même déplace la fenêtre d’Overton vers ses idées. On suit un principe commun dans l’étude des discours : ce qui est dit, par le simple fait de l’avoir été, acquiert une certaine légitimité. La conséquence de sa présence a été bien évidemment une déplacement de la fenêtre d’Overton vers l’extrême droite et donc une participation à la légitimation du discours du Rassemblement national. Un discours raciste, certes, xénophobes certes, franchement stupide, certes, mais qui maintenant paraît à la société en général un peu plus raisonné, un peu plus acceptable, peut-être même beaucoup plus pour certains. Zemmour est très loin d’avoir gagné la majorité de l’opinion publique. Ce qu’il a gagné, par contre, c’est son déplacement.
On en conclut que pour faire valoir ses idées se situant sur les côtés de l’opinion publique, il vaut peut-être mieux défendre une idée folle et complètement stupide pour que la vôtre devienne plus acceptable. Peut-être devrais-je arrêter de parler de taxation plus juste, de lutte contre la fraude fiscale, d’arrêt des cadeaux financiers aux habitants les plus riches et aux sociétés les plus profitables, et de l’investissements dans le développement des transports public, de l’éducation, de la santé, et de l’écologie par l’arrêt des politiques d’austérité, et commencer à parler de confiscation de toute fortune dépassant 500000€, de mise en prison immédiate et à perpétuité de tout personne tentant d’optimiser sa fiscalité, de nationalisation sans compensation et de redistribution des parts aux travailleurs de toutes les sociétés cotées en bourse agissant sur le territoire français, et de l’organisation d’actes terroristes réclamant des investissement décents dans les secteurs susmentionnés. Serait-ce honnête ? Non. Serait-ce efficace ? Oui. Serait-ce moral, étant donné le status quo ? C’est bien la question.